Il y a d’un côté le colosse unijambiste et alcoolique, et tout ce qui va avec : violence conjugale, comportement irrationnel, tragi-comédie du quotidien, un « gros déglingo », dit sa fille, un vrai punk avant l’heure. Il y a de l’autre le lecteur autodidacte de spiritualité orientale, à la sensibilité artistique empêchée, déposant chaque soir un tendre baiser sur le portrait pixelisé de feue son épouse ; mon père, dit sa fille, qu’elle seule semble voir sous les apparences du premier. Il y a enfin une maison, à Carrières-sous-Poissy et un monde anciennement rural et ouvrier.
De cette maison, il va bien falloir faire quelque chose à la mort de ce père Janus, colosse fragile à double face. Capharnaüm invraisemblable, caverne d’Ali-Baba, la maison délabrée devient un réseau infini de signes et de souvenirs pour sa fille qui décide de trier méthodiquement ses affaires. Que disent d’un père ces recueils de haïkus, auxquels des feuilles d’érable ou de papier hygiénique font office de marque-page ? Même elle, sa fille, la narratrice, peine à déceler une cohérence dans ce chaos. Et puis, un jour, comme venue du passé, et parlant d’outre-tombe, une lettre arrive, qui dit toute la vérité sur ce père aimé auquel, malgré la distance sociale, sa fille ressemble tant.
Avant que j’oublie est publié aux éditions Verdier
Marie-Séverine
dit :Suite à la mort de son père, Anne Pauly sent un grand vide et se sent orpheline. Avec sensibilité et humour, elle raconte tout autant ce père « atypique » que les jours difficiles qui suivent un décès : pompes funèbres, préparation de la messe, visite aux voisins…
L’écriture, proche du langage oral ce que je n’apprécie pas habituellement, sert bien ce récit tout en délicatesse et en pudeur.
Ce roman ne laisse donc pas indifférent, rend hommage à un homme jugé « peu fréquentable » puisqu’alcoolique et handicapé et permet visiblement à l’auteur de se réconcilier avec lui.
Guillemette Galland
dit :Une plume alerte et caustique mais je suis restée un peu en retrait. Il me semble que c’est souvent l’erreur d’un premier roman – un peu autobiographique- : à force de ne pas trop vouloir dévoiler, il ne s’implique pas assez, et du coup au lieu de lire une histoire qui pourrait m’interpeller et en devenir universelle, je suis un peu voyeuse, prise en otage d’une réalité/fiction qui peine à me concerner…
Martine
dit :« Avant que j’oublie » n’est pas de ces livres qu’on lit vite avant de passer à autre chose. Une fois refermé, il m’a fallu du temps pour le digérer, non pas que la lecture en soit ardue, au contraire, mais parce que le sujet fait écho à des épreuves pénibles : les moments qui précèdent et suivent la mort d’un parent — pour l’auteur, son père. À cette occasion, Anne Pauly trace en creux la vie de son enfance dans une famille de banlieue dont le père, alcoolique aux maigres ambitions professionnelles, mari violent, se révèle finalement être un rêveur contemplatif et blessé, un homme sensible, amateur de silence et de haikus. Elle l’accompagne dans ses derniers jours, avide de prolonger le contact et les échanges, se découvrant avec celui qu’elle appelle un « gros déglingo » davantage d’affinités qu’elle ne l’aurait cru. La mort de son père est aussi l’occasion de découvrir qu’il a entretenu, sa vie durant, une relation d’amitié intense avec son amour d’adolescent platonique, sans que personne n’en sache rien. Ce roman sensible et atypique sonne comme une déclaration d’amour d’Anne Pauly et une sorte de rédemption pour n’avoir pas su découvrir plus tôt la personnalité de son père.